La ré-évolution du commerce alimentaire : interview d’Olivier Roubin, fondateur de Mon Panier Bleu

Denis Gentile

Quand j’étais petit, chaque samedi après-midi, j’étais impatient d’escalader les 2 marches pour monter dans notre camion. J’accompagnais mon père pour livrer les commandes aux clients. Pas tous les clients, juste quatre ou cinq, ceux qui en avaient besoin, des personnes âgées qui étaient passées au marché le matin, mais qui n’avaient plus la force de porter leurs courses. 

On allait chez les gens avec de gros cartons et ils étaient ravis de nous voir.

Mon père, mon oncle, ma mère parfois, et avant eux ma grand-mère et mon grand-père, étaient commerçants. Ils vendaient des fruits et légumes sur les marchés d’Ivry-sur-Seine  aux portes de Paris. Je raconte cette histoire dans plusieurs livres écrits avec Guy Couturier, le rédacteur en chef de ce blog (1). Ici, elle me permet d’introduire l’histoire d’une autre personne.

Olivier Roubin, fils de commerçants

Il y a un peu plus d’un an, j’ai rencontré Olivier Roubin. Et quand il m’a expliqué le concept de « Mon Panier Bleu »,  j’ai fait un bon dans mon enfance.

« Tu sais Denis, on n’a rien inventé, on revient au temps d’avant, mais avec les outils d’aujourd’hui. »

Olivier Roubin
Olivier Roubin, le fondateur de Mon Panier Bleu

Et toi Olivier, je crois savoir que tes parents étaient aussi des commerçants.

« Oui, mais à Cannes ! Mon père était patron boucher, rue Jean Jaurès, à deux pas du marché Gambetta. Ma mère aussi a eu plusieurs commerces, notamment un salon de coiffure. »

Donc, quand tu as fondé « Mon Panier Bleu », tu es parti de ton histoire. C’est aussi pour ça que tu es revenu à Cannes après avoir travaillé pour de grosses boîtes comme Accenture à Paris pendant 18 ans. Un retour aux sources. Mais est-ce que tu te considères comme un commerçant 3.0 ?

« Non, je ne suis pas commerçant, mais j’essaie d’être un entrepreneur pour accompagner les commerçants et les aider à créer un modèle d’économie collaborative. »

Le commerce : un modèle d’économie collaborative

Tu trouves que les commerçants ne travaillent pas assez ensemble ?

«  A la base comme, tu le sais, un commerçant, un artisan, ça reste  plutôt individualiste !  C’est MA boutique, MON exploitation, MON commerce, MES clients, MON chiffre d’affaire, MES problèmes. Mais dans le monde et l’économie d’aujourd’hui et de demain, si on reste tout seul dans son coin, ça ne sera plus possible. Tout est interconnecté au niveau mondial, mais aussi au nouveau local.  Et ce retour au local, au circuit court ne pourra pas se faire sans adopter un esprit et un modèle plus collaboratif. »

Oui, c’est le principe même des réseaux sociaux. Le digital, ce n’est pas seulement un problème de communication web et de vente en ligne, c’est aussi et surtout un changement dans les mentalités.

« Oui et ça, les agences web le proposent rarement. Souvent, ils partent d’un modèle digital pour le plaquer sur une boutique du centre-ville. »

Et de nombreux commerçants sont tombés dans le panneau de leurs promesses marketing !

« Oui et aujourd’hui, ils sont échaudés. Ils ont tellement été sollicités, on leur a tellement vendu du rêve et ils ont tellement dépensé d’argent pour rien, qu’ils se méfient. Pire, parfois, ils ne veulent même pas t ‘écouter ! »

Pourtant, ta démarche est différente.

« Oui, mais pour l’expliquer, il faut qu’il prenne le temps de m’écouter. C’est une véritable évangélisation qu’il faut faire. »

Mais ça doit être plus facile pour toi, car  tu es un enfant du pays. Ils te connaissent, tu as connu leurs parents et parfois, tu as grandi avec eux. Et puis se lancer sur la plateforme Mon Panier Bleu, c’est pas si cher, non ?

« Non, pas du tout, on ne va pas leur demander de dépenser des milliers d’euros pour leur faire une boutique en ligne, c’ets moins de 400 euros… à vie ! Et on prend juste une commission de 10 % sur les ventes. »

Les frais de service en question

Et pour les clients, je suppose qu’il y a des frais de livraison ?

« A partir de 50 euros, on offre la livraison. Il faut aussi ajouter des frais de service. »

Mon Panier Bleu
Mon Panier Bleu livre partout dans les Alpes-Maritimes

Des frais de service ? Mais si je vais sur Deliveroo ou les sites en ligne des enseignes de supermarché, je n’en ai jamais vus, n’est-ce pas une barrière de les indiquer ? Et puis, c’est quoi ?

« Je suis un ancien juriste et je tiens à être transparent, les frais de service existent et je veux absolument les mentionner. Mais d’après toi Denis,  quand tu vas commander une pizza ou des sushis, il n’y a pas de frais de service ? Par exemple, si tu  commandes une pizza et que tu la paies 15 euros, tu ne vas pas me dire qu’une pizza coûte 15 euros ? »

Ah non ! Tu poses la question à la bonne personne, si je suis expert en un domaine, c’est bien la pizza !!! (rires). Une pizza, selon bien sûr les ingrédients que tu mets en garniture, ça coûte pas plus de 2 euros. Lors de mon dernier voyage à Milan il y a quelques mois, j’ai commandé 5 pizzas pour 15 euros et en plus, tu sais quoi ?  Elles étaient bonnes  !

Il y a quelques années de cela, toujours en Italie, je suis allé prendre 5 pizzas à emporter, en attendant, j’ai même pris un apéro et j’ai payé 11 euros ! Une pizza ne coûte pas 15 euros, c’est 2 euros avec 13 euros de frais de service ! (rires)

Mon Panier Bleu contre les supermarchés ?

Olivier, si je te dis que Mon Panier Bleu, c’est l’équivalent d’un site d’achats alimentaires en ligne, mais au lieu de faire ses courses dans un supermarché, on fait ses courses dans les commerces de proximité, c’est bien ça ?

« Précisons tout de suite une chose, Mon Panier Bleu n‘est pas contre les grandes surfaces, c’est un complément. »

Tu n’es donc pas un Don Quichotte des temps modernes qui se bat, non pas contre les moulins à vent, mais les supermarchés !

« Et ce n’est pas non plus David contre Goliath, je ne suis ni David ni Goliath ! Les grandes surfaces font leur métier et du mieux qu’elles peuvent.  Il faut arrêter de mettre en opposition grandes surfaces et commerces de proximité.  A ce sujet,  j’ai rencontré le patron du site epicery.com, une marketplace à Paris, Lyon et Bordeaux. Il m’a dit : « Olivier, t’inquiète pas, on ne viendra pas en province, mon modèle, c’est pour les grandes villes. » Et je lui ai répondu « Rassure-toi, Mon Panier Bleu ne viendra pas dans les grandes villes, moi mon modèle, c’est la province, c’est le territoire ! »

Puis, je lui ai posé la question : « Comment expliques-tu à tes commerçants que tu t’es associé à Monoprix ? (Monoprix a pris 20 % des parts de sa société) ?

Il m’a répondu : « Tu le sais très bien Olivier, on est complémentaires, on a besoin d’eux et ils ont besoin de nous. » C’est ça le sens de l’histoire, il a raison. Même s’ils ont de plus en plus de partenariats avec des producteurs locaux, ils ne font pas le même métier qu’un commerçant, un artisan local, qu’un producteur local, ce sont des distributeurs. Et puis, un petit commerçant ne peut pas forcément proposer des packs d’eau ou des couches-culottes, la grande surface le fait très bien.

Pour revenir à ton image, la grande surface, c’est quoi ? On est à la fin des années 50 aux Etats-Unis, ils ont eu l’idée de prendre un grand hangar et de tout mettre dedans : alimentaire, vêtements, électroménager, etc… Puis ce modèle est arrivé en Europe avec le succès que l’on connaît.

Qu’est-ce qu’ont fait les marketplaces comme Amazon ou Cdiscount ? Ils ont pris ce grand hangar et ils l’ont digitalisé

Finalement, c’est comme un marché, on trouve tout ce qu’il nous faut au même endroit.

La problématique des commerces de proximité (alimentaire, habillement, chaussures, droguerie, parfumerie, etc.)  est la suivante : prenons le cas d’une personne qui rentre dans une fromagerie, elle y va pour… acheter du fromage. Mais elle pourrait aussi vouloir du pain, du vin, des achats d’appoint, non ? Mais c’est pas forcément possible,  alors elle va devoir aller chez le boulanger à côté pour avoir une baguette à peine sortie du four, puis chez le caviste pour avoir son vin préféré.  Et souvent, le client se dira : « Je vais pas passer 3 plombes pour faire tous les commerce de la rue ! »

Mais alors comment faciliter cela ? 

Et là, tu as raison, Mon Panier Bleu a créé un site internet où les utilisateurs trouvent dans le même lieu tous les commerçants et producteurs alimentaires, toute la chaîne food.

Mon Panier Bleu
Et si vous faisiez livrer un panier bleu apéro sur la plage ?

Et qu’ils se trouvent à Menton ou à Cannes ou dans n’importe quelle autre ville ou village des Alpes-Maritimes, ils pourront se faire livrer les produits de ces professionnels, avec une traçabilité garantie, avec une chaîne du froid garantie, avec un rapport qualité prix garanti et surtout en gagnant entre 45 minutes et 3 heures par semaine !

Le temps, c’est du luxe, combien ça coûte ? N’oublions pas de compter les frais d’essence,  de péage, de parking, etc. »

Mon panier bleu, un modèle éthique ?

Sur le temps gagné, il n’y a aucun doute. Pourrait-on aussi s’attarder sur d’autres aspects : qualitatif, nutritionnel, santé, écologique, circuit-court, etc. Parce que Mon Panier Bleu, c’est tout ça à la fois.

« Bon, avec Mon Panier Bleu, on ne va pas non plus révolutionner le mode de vie des gens, on ne juge personne, tout le monde achète en grandes surfaces, moi aussi (NDLR : et on s’y rencontre parfois, ta petite fille est vraiment adorable), mais comment faire en sorte d’avoir une façon de consommer plus cohérente, plus locale ? Avec Mon Panier Bleu, on fait le maximum et on va continuer pour aller dans cette direction. »

Au fait, tu fais aussi des boxes ?

« Non, je fais des paniers ! (rires) Il y a une rubrique « Mon panier » dans laquelle tu trouves des packages pour faciliter les achats. » 

On peut citer le panier bleu apéro avec vin, bière ou champagne, le panier bleu brunch, le panier bleu primeur, le panier bleu côte de bœuf, le panier bleu locavore, etc. Et il y aura bientôt un panier bleu Noël et fêtes de fin d’année ?

« Oui, bien sûr, avec des huîtres notamment »

La conversation continue. On parle des plats de notre enfance. Olivier me cite la paella et le couscous de sa mère, la salade de museau de son père (« Chirac avait sa tête de veau, moi j’ai la salade de museau de mon père ! »), le flan de sa grand-mère, mais aussi sa préférence pour le sucré-salé comme ses spécialités :  « le filet de daurade à la mandarine » et « la côte d’agneau en croûte de cacao ».

le filet de daurade à la mandarine
Le filet de daurade à la mandarine, la spécialité d’Olivier Roubin

On évoque les grandes bouffes de notre enfance. Aujourd’hui, on se contente d’un plat unique. Ce n’est plus la même époque. Et puis, on se met à refaire le monde. Un monde où on prendrait le temps de préparer des plats avec des produits sains : « Avec la nutritionniste Ysabelle Levasseur, on a montré lors d’un atelier qu’on peut réaliser un excellent tartare de légumes et poissons en moins de 20 minutes. » Mais aussi de prendre le temps de partager de bons moments en famille ou entre amis autour d’une table. Ou lors d’un événement, car Mon Panier Bleu, c’est aussi Mon Panier Bleu Events pour organiser des évènements sur-mesure en proposant aux invités des produits locaux.

Mon Panier Bleu Events
Mon Panier Bleu Events, des évènements avec des produits locaux

Il évoque des projets qu’il a dans ses cartons pour construire un réseau social autour de la gastronomie locale, d’un événement mondial sur la gastronomie et moi je lui parle de ce livre sur l’histoire universelle du commerce que j’ai publié avec Guy Couturier dans lequel j’évoque le courage que doivent avoir les commerçants pour faire de la qualité, bien conseiller leurs clients en leur proposant des produits sans additifs ni pesticides et sans jamais baisser les stores ni les bras :

« Le courage, on en a besoin pour encourager. Si on veut encourager les commerçants, c’est maintenant qu’il faut le faire. Maintenant, ou même demain, mais sans trop attendre. Ils ont besoin qu’on les mette sur le devant de la scène, que l’on montre qu’ils peuvent changer le monde, humblement et pacifiquement. Sans avoir à livrer des batailles, sans recourir à de super pouvoirs. Simplement en devenant des commerçants responsables, conscients de leur force et dignes de leur profession. »

« The Commerce, une histoire de l’humanité » p.71

Olivier me cite tous ces commerçants, artisans et producteurs qui font partie de l’aventure Mon Panier Bleu. Il faudrait raconter leur histoire pour qu’on suive leur exemple : La Fromagerie Ceneri, Eric Gayraud (365 fromages), Bouquet de fruits, la Maison Thibeaut, Jean de la Tomate, etc.

Olivier Roubin et Alice André
Olivier Roubin et Alice André, une association Mon Panier Bleu avec La Brouette de Colette en 2020

Enfin, Olivier insiste sur un point : 

« Ce qu’il faut, c’est l’envie. L’envie de bien faire, l’envie de faire quelque chose qui ait un sens, l’envie de se lever à 4 heures du matin comme nos parents pour préparer la marchandise.  D’après toi , qu’est-ce qui les a motivés pour aller de l’avant et qui m’a aussi motivé à quitter Paris, la sécurité de l’emploi et un gros salaire ? »

C’est cette envie-là Olivier, associée au courage dont je te parlais !

Cet article ne vous donne qu’un aperçu de ce qu’Olivier Roubin fait et veut faire avec Mon Panier Bleu. Alors si vous avez des questions à lui poser, les commentaires sont ouverts.

Olivier Roubin croqué par Molinari
Olivier Roubin croqué par Molinari !

(1) : The Commerce, une histoire de l’humanité et Le Marketing de l’Enchantement

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