J’aurais pu prendre une définition sur wikipedia ou dans un ouvrage de référence, puis me contenter de la commenter et l’article aurait été bouclé en 2 temps et 3 mouvements. Mais franchement, ce procédé m’ennuyait un peu et, par conséquent, il aurait aussi ennuyé le lecteur. C’est un principe à ne jamais oublier, il y a de fortes chances que le lecteur ressente les mêmes émotions que la personne qui raconte l’histoire. Donc n’écrivez pas en baillant, le lecteur risquerait de s’endormir !
Ma définition du storytelling
Alors, je me suis creusé les méninges et je me suis cassé la tête jusqu’à ce que la bonne idée illumine mon cerveau. Et j’ai trouvé la définition du storytelling qui aurait enfin marqué tous les esprits, de l’enfant de 6 ans au néo-centenaire, du fermier à la ménagère, de l’intello au fonctionnaire, de l’architecte à la caissière, de l’artisan au manager.
Avertissement, je n’ai trouvé cette définition dans aucun manuel, elle n’a donc rien d’officiel. J’ai suivi une démarche naturelle, je me suis raconté une histoire, l’histoire de Giac et Marius. Cette histoire, vous pouvez la lire dans cet article en cliquant ici.

Voici ma définition du storytelling :
« On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ! Les œufs, ce sont les éléments d’une histoire, l’omelette, c’est une mise en scène de tous ces éléments. »
Denis Gentile
(Photos ci-dessus : L’omelette de la Mère Poulard Ⓒbreizhinside Ⓒolchikfr)
J’avais un impératif dans ma définition : sortir immédiatement de l’adéquation suivante : storytelling égale rédaction. C’est souvent le plus difficile à comprendre. Il y a mille façons de raconter une histoire, avec ou sans les mots. L’omelette est la parfaite illustration d’un bon storytelling. C’est une mise en scène, en l’occurrence la scène est une poêle, de ce que l’on peut faire avec des œufs. D’autres cuisiniers ou même chefs étoilés préféreront changer la mise en scène, en ajoutant d’autres ingrédients dans l’omelette, d’autres donneront une interprétation complètement différente en préparant des œufs durs, des œufs sur le plat, des œufs brouillés, des œufs en chemise, des œufs en neige ou une génoise. La seule limite, c’est l’imagination et le savoir-faire du cuisinier ou du pâtissier. A chaque fois, c’est une histoire différente et cette histoire est racontée dans l’assiette qu’on vous servira.
Vous comprendrez désormais plus aisément qu’une photo ou une vidéo, c’est du storytelling, que la réalisation d’une maquette ou d’un château de sable, c’est du storytelling, qu’une attraction dans un parc à thème ou le dessin d’un enfant, c’est du storytelling, qu’un tour de magie ou une sculpture, c’est du storytelling, qu’une pizza ou une tarte au citron, c’est du storytelling, etc. A vous de compléter cette liste infinie.
Prendre conscience de ces “storytellings”, c’est faire un grand pas. Par exemple, c’est faire un grand pas dans la communication d’une entreprise. De la naissance d’un produit à son utilisation ou consommation par le client, de la conception d’un service à sa mise en place sur le terrain, mais pas seulement, car il y a ensuite les relations et les échanges entre les différents participants. Au départ, la mise en scène est unique et assez simple, ensuite, les lieux se multiplient et les relations entre les personnages ou les éléments créent une infinité de combinaisons et donc d’histoires.
Mais sérieusement, peut-on vraiment définir une discipline à partir d’un œuf ? C’est une métaphore intéressante, mais pas une définition. Et on peut même ajouter qu’une définition ne peut pas prendre en compte un élément particulier. Elle doit être universelle.
Est-ce que j’ai vraiment donné une définition ?
Voici mes réponses :

- Dans le monde du réel, qu’y a-t-il de plus universel qu’un œuf ? Rien ! (Dans les mythes des civilisations Egyptienne, Grecque et Chinoise, l’œuf est à l’origine de l’univers)
- Quand Aristote parle du caractère universel d’une définition, il précise que le caractère universel est ce qui peut « être dit de plusieurs ». C’est le cas de l’œuf.
- L’utilisation de la métaphore permet de rendre un propos accessible à un plus grand nombre. C’est d’ailleurs une technique que l’on utilise dans le storytelling. Cela suffit à justifier son utilisation pour le définir.
- D’ailleurs, lorsqu’on fait du storytelling, on doit se poser cette question inspirée d’un propos d’Albert Einstein : comment est-ce que je peux expliquer ce concept à un enfant de 6 ans ?
Enfin, je ne suis pas le premier à me servir d’un œuf pour expliquer une chose sérieuse ou mieux encore pour convaincre un jury d’expert du bien-fondé d’une idée.
Connaissez-vous la dispute de l’œuf ?
Autour de la table, on trouve les architectes les plus illustrent de l’époque, on est au début du XIVe siècle à Florence. Ils doivent proposer leur projet pour résoudre un problème insoluble : construire une coupole géante. Les Florentins ont bâti leur cathédrale à un détail près : il manque le toit ! Voici 2 chiffres significatifs : la construction atteint alors les 52 mètres de haut et le diamètre du “trou béant” est de plus de 42 mètres !

L’entreprise est techniquement impossible. Ce défi passionne les plus éminents architectes en Europe qui présentèrent des projets avec des dessins, des modèles et des calculs. Filippo Brunelleschi arriva les mains dans les poches. Il fit un discours dans lequel il expliqua sommairement ses préconisations, il avait peur que les autres lui piquent ses idées. Le plagiat était déjà d’actualité. Et quand on le poussa dans ses derniers retranchements, il impliquait l’aide de Dieu pour celui « qui devra conduire cette entreprise ! » Ils le prenaient pour un fou.
(Ci-contre, dessin de Koffi Apenou pour le livre “Le Passant Florentin”. Il exprime le caractère “monumental” du défi à réaliser)
Pourtant certains des autres projets étaient pour le moins extravagants. Par exemple, il y a ceux qui préconisaient de remplir le bâtiment de terre pour pouvoir ensuite construire la coupole. On devait mêler à la terre des pièces de monnaie. On laisserait ensuite les citoyens déblayer la terre pour récupérer le trésor enfoui et éparpillé ! Qui est le plus fou des 2 ?
Brunelleschi tenta alors un coup de poker : un œuf dans sa main, il déclara :
« Celui qui le fera tenir debout sur cette table de marbre sera digne de faire la coupole ! »
Filippo Brunelleschi dans “La Vie des Peintres…” de Giorgio Vasari
Ses rivaux acceptèrent, mais aucun d’entre eux ne put réussir. Ce fut au tour de Brunelleschi. Il prit l’œuf, écrasa sa pointe sur un coin de la table en marbre et le fit tenir tout naturellement droit ! C’était pas plus compliqué que cela 😉 Il fut enfin décidé de lui donner la direction des travaux.
Définir le storytelling avec l’expression « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs », c’est s’inspirer de la dispute de l’œuf pour la construction de la coupole de Santa Maria del Fiore.
Il convient aussi d’évoquer le sens propre de cette expression. On ne fait rien sans prendre un minimum de risques. En adoptant cette attitude et en proposant ce défi à la limite de l’absurde, Brunelleschi prend de sacrés risques !

L’émotion au cœur du storytelling

Le cœur du storytelling, c’est la mise en scène. Sans mise en scène, il n’y a pas de storytelling. Cette mise en scène doit produire un effet, l’œuf se transforme en omelette. Aujourd’hui, on le sait et on ne provoquerait aucun effet wow, pourtant celui-ci existe. Prenons un autre exemple. Demandez à un enfant de vous aider pour séparer les blancs des jaunes de 3 ou 4 œufs. Puis, battez à l’aide d’un fouet électrique les blancs. L’enfant va voir les œufs se transformer et devenir comme de la neige. Il va être surpris, puis ensuite retournez le bol et la neige ne tombera pas. C’est un deuxième effet qui le surprendra.
Les effets du storytelling se nomment émotions. Produire un effet, c’est provoquer des émotions. Le storytelling va provoquer des émotions. Il parle directement à notre imagination et à notre cœur. Avec le storytelling, il n’y a ni lecteur ni spectateur il n’y a que des acteurs. Grâce aux émotions, il va se retrouver quelque part sur la scène. Parfois protagoniste, parfois figurant.
(Photo ci-dessus : Le Storytelling de Sébastien Durand aux éditions DUNOD)
Dans mon article « Parole(s) d’Aristote, Maître Blogger » certains d’entre vous m’ont gratifié de superbes commentaires. Comme Sylvain :
« Un bel article émouvant… J’écris ce commentaire avec un autre d’esprit que lorsque j’ai commencé à lire le billet ! »
Sylvain Lareyre, Chasseur et Sourceur de Talents IT à JobOpportunIT
Que s’est-il passé émotionnellement ? Il y a eu une transformation intérieure au fil de la lecture de l’histoire. Une transformation qui est claire et évidente quand on évoque les œufs que l’on casse et qui deviennent dans la poêle une omelette ! Ou quand on monte les blancs en neige.
Si un chef étoilé devient un bon storyteller, alors il va transporter le convive dans un autre lieu et transformer son état présent. C’est la scène clef du film d’animation de Disney « Ratatouille ». Le critique gastronomique est comme téléporté dans sa maison natale, il a retrouvé les saveurs de son enfance. Il ne s’agit pas seulement d’un souvenir qui remonte à la surface, c’est plus profond : il replonge littéralement dans son passé. Ce passé devient présent !
On ne fait pas de storytelling sans casser des œufs. En écrivant cet article, je prends des risques, je m’expose aux critiques des experts (j’en ai parfois reçu, c’est humain), car je ne propose pas discours consensuel, autoritaire (qui mentionne des références aux spécialistes qui ont pignon sur rue) ou déjà entendu.
On ne fait pas de storytelling sans casser des œufs, car on ne parle pas du storytelling sans raconter une histoire. Cette histoire, c’est celle de Giac et Marius, à lire en cliquant ici.

On donne de sa personne pour écrire . On s’investit émotionnellement. C’est ceci même qui est gage de sincérité. La sincérité crée l’engagement.
Merci pour ce commentaire, c’est justement le thème de la suite de cet article, l’histoire de Giac et Marius, mais pas seulement. A découvrir le mardi 29 janvier 😉
Les commentaires publiés sur Linkedin vont d’ailleurs dans ce sens :
“Merci pour cet article, Denis Gentile, si bellement troussé, au rebours des définitions logiques ; oui, toucher au coeur, ça ne peut pas se calculer ni marcher à tous les coups, mais c’est sincère… Et ça au moins, ça touche, lorsqu’on est entouré de propos et d’images “calculées” pour nous faire réagir en faisant ou pensant ceci ou cela !”
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